Un point neural « extraordinaire »

Quoi de plus décevant pour un thérapeute que de voir un patient partir sans soulagement malgré les soins prodigués ! Nous rencontrons cette situation dans certaines cervicalgies aigües où la rotation  du cou reste douloureuse, même si les tests n’objectivent pas de réels blocages à ce niveau. Face à ce problème, nous avons pu expérimenter avec succès le traitement par recoil d’un petit point d’acupuncture au nom évocateur : Luo Zhen, « cou raide » en français[1].

[1] Un point également appelé Wai Lao Gong ou Xiang Qiang dans certains ouvrages.

La majorité des points décrits dans les atlas d’acupuncture se situent sur des trajets nerveux anatomiques bien précis et, avec la méthode du Lien Mécanique, nous pouvons tout à fait aborder ces différents points d’une façon parfaitement ostéopathique, à savoir :

- les identifier (technique des dépressions cutanées),

- les tester (mise en tension),

- les traiter (recoil).

La médecine traditionnelle chinoise nous offre un large répertoire de points aux indications bien établies. Cela nous fournit une base de données très intéressante pour la recherche de solutions ostéopathiques face aux problèmes de douleurs chroniques ou aigües[1].

Le point Luo Zhen  ne se situe pas sur un méridien d’acupuncture mais se trouve classé dans la catégorie des « points extraordinaires »[2]. On localise ce point à la face dorsale de la main, dans une dépression entre le deuxième et le troisième métacarpien, à la hauteur de la ligne qui sépare le corps et la tête du métacarpien.

Ce point correspond au rameau médial du nerf radial superficiel. A noter que le rameau latéral de ce même nerf nous donne aussi le point 4 Gros Intestin (4 GI), un point majeur de l’acupuncture pour nombre d’affections douloureuses.

[1] Pour la corrélation entre les points clés du système nerveux et les points d’acupuncture, voir Points clés du système nerveux périphérique, P. Chauffour, E. Prat, J. Michaud

[2] Ainsi nommé par Hempen (1995). Les points extraordinaires, aussi appelés points hors méridien, points nouveaux, points curieux ou point additionnels sont les 48 points de la nouvelle nomenclature qui se trouvent en dehors des méridiens principaux. D’un point de vu anatomique, et donc ostéopathique, nous pouvons constater qu’ils se situent le plus souvent sur un trajet nerveux particulier.

En tant que point symptomatique, il peut éventuellement être traité en première intention, notamment dans les cas aigus comme le torticolis où l’examen ostéopathique de la région cervicale s’avère difficile à réaliser[1]. Bien entendu, nous ne traitons ce point que si le test est positif et présente bien une fixation neurale.

Dans les cervicalgies chroniques, il est préférable de privilégier d’abord une approche ostéopathique globale, à savoir la normalisation des lésions ostéopathiques mises en évidence par l’examen général. Si, à l’issu de cette  prise en charge, le patient ne ressent aucune amélioration, il est alors intéressant de compléter le traitement ostéopathique par un travail spécifique[2] sur le  point Luo Zhen.

[1] Une fois la sédation de la douleur obtenue, il devient alors plus facile d’examiner le patient pour mettre en place un traitement ostéopathique complet.

[2] Ce qui, dans la majorité des cervicalgies, s’avère le cas !

Test du point neural Luo Zhen

En acupuncture, certains ouvrages recommandent de piquer ou masser le côté opposé à la douleur, d’autres auteurs préconisent d’agir du même côté.

En pratique ostéopathique, les choses sont plus simples : il suffit de tester comparativement le point des deux côtés, droit et gauche, pour sentir lequel présente une fixation plus marquée[1]. Le test s’effectue par un mouvement de pression-circumduction sur le nerf contre le deuxième métacarpien.

Pour le traitement, la phase préalable du recoil consiste à déterminer dans quelle direction la restriction tissulaire du filet nerveux se majore le plus[2]. On peut aussi ajouter un paramètre de rotation horaire/antihoraire pour affiner la mise en tension[3].

Si le point s’avère douloureux, on optera pour une mise en tension très légère (action calmante) et, inversement, on pressera plus fortement (action tonifiante) si le point n’est pas sensible[4].

On peut aussi demander au patient de tourner doucement la tête du côté douloureux pendant que l’on effectue le recoil puis de revenir à sa position de confort. En répétant plusieurs fois cette opération, on peut obtenir une nette amélioration de la rotation cervicale ainsi qu’une diminution significative des douleurs[5].

Cas clinique.

Mme M. R., 62 ans, consulte pour des lombalgies et des cervicalgies récurrentes. Revue un mois après le premier traitement, alors que les lombalgies ont totalement disparues, elle continue de se plaindre d’une vive douleur cervicale droite en tournant la tête du côté gauche. A l’examen, tous les tests ostéopathiques s’avèrent peu concluants sauf le point Luo Zhen de la main droite qui se manifeste fixé et très sensible. Après un traitement par recoil de ce point, à sa grande surprise, la patiente retrouve immédiatement une mobilité cervicale parfaite et sans douleur !

[1] En pratique, on peut opter pour la position suivante : patient assis sur la table, avec les mains posées à plat sur ses genoux avec le praticien face à lui.

[2] Tests analytiques en translation distale/proximale et latérale/médiale. L’impulsion du recoil sera nécessairement dirigée contre la plus forte résistance, par exemple vers le bas, si la traction distale est  limitée, ou vers le haut, si la traction proximale est limitée.

[3] De même qu’un acupuncteur jouera avec la rotation de l’aiguille pour déterminer dans quel sens stimuler le point.

[4] On peut aussi appliquer les principes de l’acupuncture : pour un point en vide d’énergie ou en effondrement, on tonifie en réalisant un recoil de la profondeur (l’intérieur) vers la surface (l’extérieur) du corps du patient tandis que pour un point en excès d’énergie, on aura une action dispersante en effectuent un recoil dirigé de la surface vers la profondeur. Cette approche particulière fera l’objet d’un prochain article.

[5] En gardant à l’esprit que, au-delà de l’effet immédiat, la durabilité du résultat reposera nécessairement sur la globalité du traitement ostéopathique. Point « extraordinaire » ne veut pas dire recette simpliste.

L’effet spectaculaire du traitement de ce point évoque une voie réflexe via le système nerveux. Le nerf radial, comme la majorité des nerfs périphériques, véhicule non seulement des fibres motrices et sensitives mais aussi un contingent notable de fibres sympathiques. Le niveau radiculaire du nerf radial (C6-C7-T1) explique sans doute et en grande partie l’efficacité du traitement de ce point pour les cervicalgies[1]. La forte représentation du pouce et de l’index au niveau des aires cérébrales motrice et sensitive peut aussi contribuer à l’effet antalgique des points distaux du nerf radial superficiel (4 GI  et Luo Zhen).

[1] Nous avons sur dos de la main deux autres points, Yao Tong Dian et Yao Tong Xue, traditionnellement réputés pour les douleurs lombaires. Cependant, et d’après notre expérience, ils ne font malheureusement pas preuve de la même efficacité clinique que le point Luo Zhen pour les douleurs cervicales !? Peut-être parce que le territoire d’innervation de la main (métamère cervical) ne correspond tout simplement pas au segment médullaire lombaire…

L’efficacité remarquable de ce point neural nous a amené aujourd’hui à l’intégrer systématiquement dans le traitement des cervicalgies. Elle nous invite aussi à explorer d’autres points distaux pouvant compléter utilement un traitement ostéopathique général.

A ce sujet, et pour rester au niveau de la main, notons par exemple que les branches superficielles du nerf ulnaire donnent des réponses très intéressantes dans les douleurs spasmodiques (3 Intestin Grêle) et les acouphènes (3 Triple Réchauffeur). Quelques soient la localisation des symptômes, en ostéopathie, les extrémités méritent vraiment toute notre attention !

 Eric Prat DO