L'ENCÉPHALE UNE NOUVELLE APPROCHE OSTÉOPATHIQUE

Pratique Publié le 29 mars 2021

Dès les années 1980, nous avons empiriquement tenté l’approche du Lien Mécanique Ostéopathique (LMO) sur certaines zones cérébrales[1]. Après des années d’expérience avec de nombreux résultats cliniques encourageants, nous avons partagé nos connaissances avec  un chapitre entier consacré à ce passionnant sujet dans notre dernier ouvrage[2].

Le présent article vise à préciser certains points qui n’avaient pas été développés jusque-là.

 

[1] P. Chauffour, J. M. Guillot,Le lien mécanique ostéopathique, Substrat anatomique de l’homéostasie, Ed. Maloine 1995.

[2] P. Chauffour, E. Prat, J. Michaud,Le lien mécanique ostéopathique : points clés du système nerveux périphérique, Ed. Sully 2017.

Comment aborder l’encéphale

Si l’intégration de l’encéphale dans l’examen et le traitement ostéopathiques offre incontestablement de nouvelles et prometteuses perspectives, il semble encore difficile pour de nombreux confrères d’imaginer pouvoir « toucher » le cerveau pour détecter et corriger d’éventuelles « dysfonctions somatiques ».

Pour aborder l’encéphale, il y a deux points importants à considérer.

 

1. La nature de la lésion ostéopathique cérébrale.

La lésion ostéopathique (latin : laesus, de laedere : blesser) telle que nous la considérons est une véritable blessure[1] qui altère le tissu conjonctif[2]. Cette lésion s’installe selon le processus physiopathologique de l’inflammation (phase aigüe) et de la fibrose (phase chronique) et se caractérise par une perte d’élasticité du tissu affecté.

Le système nerveux périphérique ne cicatrise pas à proprement parler comme le tissu conjonctif mais peut se réparer[3]. La fixation d’un nerf périphérique que l’on ressent sous le doigt siège donc sur le tissu conjonctif[4], pas sur le tissu neural lui-même.

A la différence d’un nerf périphérique, le système nerveux central lorsqu’il est lésé ne se régénère que peu ou pas car l’inflammation locale s’accompagne d’une prolifération d’astrocytes qui s’hypertrophient et se collent pour former une cicatrice gliale solide et compacte. La lésion ostéopathique peut donc se manifester sous une forme inflammatoire (perception d’une zone de plénitude, chaude, irradiante) ou bien sous une forme de gliose (perception d’une zone de vide, froide, figée).

D’après notre expérience, il semblerait que les fixations somato-émotionnelles (stress psychologique) se traduisent plutôt par une zone de plénitude tandis que les lésions cérébrales (séquelles d’accident vasculaire, pathologies neurologiques dégénératives) sont habituellement perçues sous la main comme une zone de vide[5].

Rappelons que l’encéphale est, par nature, insensible. Il n’est donc pas possible, contrairement à une fixation crânienne, de se baser sur la palpation d’une éventuelle zone sensible ou douloureuse pour confirmer le diagnostic d’une lésion ostéopathique de l’encéphale.

 

2. La situation anatomique de l’encéphale.

Il parait difficile d’atteindre l’encéphale qui est enfermé dans la boite crânienne, enveloppé par les membranes de tension réciproques et plongé dans le liquide céphalo-rachidien.  Nous savons aussi que le cerveau est de consistance flasque, comme un mélange de gélatine et de graisse, de sorte que même une palpation directe pour en apprécier l’élasticité serait peu parlante.

Pour appréhender[6] l’encéphale, il faut en fait passer à un niveau de palpation différente : une palpation subtile, « vibratoire », qui apprécie davantage l’activité électro-magnétique d’une zone cérébrale que sa supposée perte d’élasticité. La perception vibratoire n’est pas une « écoute crânienne » mais un toucher direct avec l’intention précise d’évaluer les zones de perturbations du cerveau. La difficulté du toucher tient au fait qu’il faut rester en surface avec une main légère, transparente, pour être capable d’entrer en contact avec l’encéphale. Il ne s’agit pas d’empiler les tissus mais bien de passer au travers de la boite crânienne par projection mentale. 

Cette approche nécessite une connaissance de l’anatomie et une bonne visualisation de l’encéphale en trois dimensions. Chaque structure cérébrale sera testée analytiquement dans 3 plans autour de 3 axes avec le même toucher léger que lors du test en balance inhibitrice.

Pour le traitement d’une fixation cérébrale, le recoil s’avère une technique idéale car la vibration générée par l’impulsion du geste peut traverser la boîte crânienne et atteindre l’encéphale. Comme pour le test, la mise en tension du recoil doit paradoxalement rester légère pour pouvoir se projeter en profondeur vers la zone ciblée.

 

[1] Le terme lésion ostéopathique (altération du tissu) est beaucoup plus juste que celui de dysfonction somatique car le diagnostic palpatoire doit porter sur la cause structurelle de l’affection (la lésion) et non pas les éventuelles conséquences (les dysfonctions) qui peuvent en résulter.

[2] Le tissu conjonctif au sens large, c’est-à-dire tous les tissus dérivés du mésoblaste : os, fascias, aponévroses, muscles et tendons, vaisseaux sanguins, etc.

[3] Former de nouveaux axones et de nouvelles synapses, régénérer leur gaine de myéline ou même fabriquer de nouveaux neurones.

[4] Les différentes gaines qui enveloppent les fibres nerveuses.

[5] Ce qui ne veut pas dire que, à contrario, toutes les zones ressenties comme étant en plénitude soient toujours le reflet d’une perturbation émotionnelle.

[6] Au sens propre comme au sens figuré (latin : apprehendere  « prendre, saisir, attraper »).

Indications cliniques

La normalisation des zones cérébrales en tension par recoil nous a apporté des réponses cliniques intéressantes chez de nombreux patients souffrant de séquelles de commotion cérébrale, d’asthénie, de céphalée, de trouble de l’attention, de dépression nerveuse, etc. alors même que le traitement ostéopathique crânien avait parfois tendance à augmenter la symptomatologie.

Prenons l’exemple d’une patiente qui a subi 7 commotions cérébrales en quelques années (rugby et pelote basque). Elle présentait une asthénie importante et des céphalées quotidiennes. Le premier traitement ostéopathique, qui avait porté essentiellement sur le crâne, avait paradoxalement aggravé les symptômes. La deuxième consultation, incluant cette fois un traitement spécifique de l’encéphale, a en revanche donné une amélioration rapide et durable dans le temps. Cette même approche sur d’autres patients victimes de traumatismes crâniens nous a également permis de résoudre la majorité de leurs plaintes[1].

Il est par ailleurs surprenant de voir que l’on peut retrouver des fixations de l’encéphale  comparables à celles d’une commotion cérébrale chez un nouveau-né, ou un enfant !?

Lors du développement intra-placentaire y a-t-il eu des contraintes particulières, une absorption de produits iatrogènes ou toxiques (tabac, alcool), un traumatisme physique ou psychologique vécu par la mère pendant la grossesse ? Lors de l’accouchement, comment se sont déroulées les différentes étapes, avec quelles complications éventuelles ?

La libération des lésions ostéopathiques de l’encéphale donne presque toujours des effets positifs rapides sur  le sommeil, les terreurs nocturnes, l’agitation, l’irritabilité ou les troubles du comportement du nouveau-né[2].

De plus, il parait vraisemblable que l'expansion du volume intracrânien liée à la croissance encéphalique se transmet par l'intermédiaire des membranes de tension réciproques au crâne osseux. Savoir « jouer » avec l’encéphale permet sans doute – dans une certaine mesure – de moduler la croissance crânienne.

 

[1] Cas cliniques ici présentés par Romain Saint-Jean, ostéopathe DO et praticien du LMO.

[2] Les mêmes résultats n’étant pas toujours obtenus par les techniques crâniennes classiques, l’approche de l’encéphale apporte clairement une valeur ajoutée au traitement ostéopathique en pédiatrie.

Les principaux schémas lésionnels de l’encéphale

Est-il possible, voire même utile de décrire et classifier les différentes fixations de l’encéphale que l’on peut percevoir? Avec l’expérience de plusieurs années, il est clair que certains schémas lésionnels reviennent souvent. Nous pouvons notamment citer :

La ptose de l’encéphale avec sous la main la sensation d’une masse cérébrale étalée et fixée en position basse. Une lésion plus basse située comme la tension du filum terminal peut être ici en cause. Les patients présentent volontiers une sensation de tête lourde, de fatigue, voir un état dépressif.

La flexion antérieure du cortex frontal, assez caractéristique des suites de chute en avant.

La flexion/extension de l’encéphale, qui chez le nourrisson et le jeune enfant conditionne en partie l’angulation de la base du crâne et, secondairement, celle du massif facial[1].

Le torque de Yakovlev[2], une déformation asymétrique de l’encéphale qui vu, de dessus, tourne dans le sens anti-horaire.

On retrouve souvent cette torsion de l’encéphale chez les patients présentant des troubles de l’humeur[3], avec plutôt une tendance à l'anxiété si la fixation domine sur le cortex frontal à droite ou à la dépression si la fixation domine sur le cortex occipital gauche.

A noter sur le plan ostéopathique la concordance possible entre un torque de Yakovlev, une torsion de la coupole crânienne avec bosse frontale proéminente, une plagiocéphalie occipitale postérieure gauche et/ou une scoliose thoracique droite.

 

[1] Une flexion de l’encéphale et de la base du crâne favorise le développement antérieur de la mandibule (prognathie) alors que, inversement, un tableau d’extension prédispose au retrait de la mandibule (rétrognathie).

[2] Nommé ainsi d’après un neuroanatomiste américain d’origine russe, Paul Ivan Yakovlev (1894–1983)

[3] Voir certains troubles psychiatriques : Occipital bending (Yakovlevian torque) in bipolar depression, Jerome J. Maller, Psychiatry Research: Neuroimaging, 2015.

La tension du corps calleux, soit en fermeture (rétraction), soit en ouverture (expansion).

La fixation du système limbique, ressentie sous la main comme une zone de plénitude, caractéristique d’un état émotionnel perturbé.

La fixation du tronc cérébral ou du cervelet, le plus souvent dominante d’un côté, présente dans de nombreux troubles fonctionnels neuro-végétatifs et certains troubles de l’équilibre.

Il existe aussi de nombreux autres schémas lésionnels possibles, notamment des fixations profondes, plus diffuses et moins faciles à anatomiquement définir.

Le testing des artères du cerveau issues de la carotide interne et du tronc basilaire complète ici avantageusement l’examen ostéopathique de l’encéphale[3].

Lorsque l’encéphale présente plusieurs zones en tension, le traitement combiné[4], devient tout particulièrement intéressant.

Parfois, le schéma lésionnel du crâne se superpose exactement à celui de l’encéphale[5]. Dans ce cas, il est important de bien savoir différencier la lésion ostéopathique du crâne (test positif à la mise en tension tissulaire) de la fixation cérébrale (test positif à la palpation vibratoire)[6].

 

[3] Lire à ce sujet Le Lien mécanique Ostéopathique, artères et système neuro-végétatif, Editions Sully.

[4] Lire à ce sujet l’article Le Lien Mécanique Ostéopathique : évolution et perspectives

[5] Exemples : flexion/extension du cerveau et flexion/extension de la SSB ou bien torque de Yakovlev et torsion de la coupole crânienne.

[6] Au niveau du crâne, on ne peut pas tester de la même manière le contenu et le contenant. Lorsque les fixations de la tête osseuse recouvrent celles de l’encéphale, seul un toucher sélectif dans son intention peut faire la différence.

En pratique, l’encéphale peut présenter beaucoup de variables dans son schéma lésionnel et il n’est pas toujours possible de pouvoir identifier avec certitude la ou les zone(s) impliquée(s). L’objectif dans ce cas reste alors de simplement « remodeler » l’encéphale par petites touches (recoil) pour rétablir sous les mains (palpation vibratoire) un meilleur équilibre des tensions ressenties. Même s’il y a là un abus de langage, la sensation est de jouer ici avec la « plasticité du cerveau »[1].

 

[1] Le terme plasticité cérébrale décrit la capacité de l’encéphale à remodeler ses connexions en fonction de l'environnement. Nous l’utilisons ici car il évoque bien la sensation que nous avons sous les mains de « modeler » la masse cérébrale. 

 

 

 

Recoil de l'aire frontale

 

En intégrant l’encéphale dans votre examen général, vous étendrez grandement votre compétence en ostéopathie. De plus, cette pratique régulière du «  viscéral crânien »  développera progressivement la transparence de votre toucher et, par là même, la qualité de votre palpation sur les autres structures du corps humain.

 

Eric Prat DO

Romain Saint-Jean DO

 

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