Les traits essentiels de la dominante d’après Ukhtomsky sont :
1. sensibilité élevée de la dominante due à l’accumulation des stimulations et leur persistance ;
2. freination simultanée des autres sources de l’excitation.
« Ce double syndrome est un motif typique et obligatoire dans la dominante, au point que, en l’absence d’un de ces deux signes <…> on ne peut pas parler de la dominante. Nous assistons ainsi à un certain principe de fonctionnement des centres nerveux : il est commun pour de nombreuses réactions de l’organisme à l’environnement ; cependant il se concrétise d’une manière différente selon les cas et s’opère par le biais de mécanismes différents »[1].
Cela dit, un parallèle s’impose avec le phénomène de la balance inhibitrice développé par Paul Chauffour. Lors du test en balance inhibitrice, la tension dans la zone de la lésion ostéopathique dominante s’accroît tandis que la tension dans la zone de la lésion subordonnée diminue[2].
Toutefois il arrive que, lors du test en balance inhibitrice, cette montée reste assez discrète. Il semble que cela peut dépendre de la concentration de l’opérateur sur tel ou tel point. On aperçoit plus facilement les choses qu’on est en train de regarder. Ainsi, en focalisant l’attention sur la montée de la tension, on favorise sa perception.
Le principe de dominante, selon Ukhtomsky, présente également un autre trait important : l’excitation dans la dominante dépend de la somme des excitations plutôt que de leur intensité.
« La transformation du centre en dominante dépendra de sa capacité de faire la somme des excitations sous l’influence des impulsions qui arrivent jusqu’à lui, sinon les impulsions aboutiront à un centre qui en est incapable »[3].
Compte tenu de cela, nous pouvons utiliser dans notre pratique cette capacité de la dominante à faire une somme des excitations. Il est possible ainsi de faire une légère percussion rythmée dans la zone d’une lésion ostéopathique et exécuter ensuite le test de la mise en tension sur une autre lésion ostéopathique. Cette façon d’effectuer le test en balance inhibitrice entre les deux zones peut s’avérer utile dans les situations où la variante classique du test est difficile à réaliser : deux lésions ostéopathiques à comparer qui seraient très éloignées l’une de l’autre (comme dans le cas des animaux de grande taille) ou lorsqu’un des contacts nécessite les deux mains.
Essayons maintenant de « réduire au même dénominateur » l’idée d’Ukhtomsky telle qu’il l’a décrite et la méthodologie du LMO en termes ostéopathiques. Si « la dominante est une focale des excitations qui attire vers elle des vagues d’excitation issues des sources les plus variées »[4] et si la lésion ostéopathique que nous avons trouvée avec l’aide du test en balance inhibitrice s’avère dominante parmi les dominantes, on est amené à l’idée que tout stimulus (par exemple, un souvenir d’un évènement marqué par une émotion) provoquera une tension accrue sous la main de l’ostéopathe. Ce phénomène est décrit dans les termes du LMO comme une phase de « mentalisation » et de « verbalisation » du recoil[5].
Une particularité de la « dominante d’Ukhtomsky » peut apporter des résultats pratiques lorsque nous œuvrons à la correction maximale de la lésion ostéopathique dominante. Ainsi, après l’avoir traitée lorsque le patient restait passif et allongé sur la table, il est utile de « garnir le feu » et demander au patient de se lever et de bouger un peu. Mieux vaut même faire des mouvements qui auparavant étaient gênés ou pénibles. Ce type d’ « agents provocateurs » ne manquera pas d’augmenter la tension dans la dominante existante et permettra d’optimiser l’efficacité de la correction par recoil.
A la vue de ce qui précède, nous pouvons conclure que la lésion ostéopathique est un reflet somatique des dominantes neurophysiologiques qui fonctionnent en réseau neuronal permanent.
La correction de la lésion ostéopathique conduit non seulement au rétablissement de l’élasticité des tissus, mais aussi à des changements dans le fonctionnement du cerveau. La preuve en est le changement de la circulation sanguine cérébrale régionale durant une intervention ostéopathique chez les volontaires sains et chez les patients souffrant d’une douleur chronique[6].
Ainsi, lors d’une correction ostéopathique, nous nous adressons à la neuromatrice. Ce concept a été proposé en 1989 par Ronald Melzack, co-auteur d’une théorie du contrôle portale de la douleur[7]. Cette neuromatrice est génétiquement déterminée mais se modifie selon notre expérience sensorielle[8]. La neuromatrice est un mécanisme principal qui génère des motifs (patterns) neuroniques ; ceux-ci vont, à leur tour, déterminer nos réactions aux différents effets de l’environnement et du milieu intérieur[9]. De ce fait, en termes de neurophysiologie, la correction des lésions ostéopathiques dominantes par la technique du recoil se présente comme une des méthodes les plus actuelles de la neuromodulation[10].
[1] A. Ukhtomsky, op.cit., p. 199.
[2] Cf. chapitre Diagnostic et traitement de la lésion ostéopathique selon l’approche LMO.
[3] A. Ukhtomsky, op.cit., p. 82.
[4] Ibid. p. 42.
[5] Cf. Glossaire.
[6] F. Tamburella et al, Cerebral Perfusion Changes After Osteopathic Manipulative Treatment: A Randomized Manual Placebo-Controlled Trial, Front Physiol. 2019 ; F. Cerritelli et al, Effect of Manual Approaches with Osteopathic Modality on Brain Correlates of Interoception: an fMRI Study, Sci Rep. 2020.
[7] A. Rocha et al, De la compuerta a la neuromatriz y neuromodulación = From Gate and Neuromodulation to Neuromatrix, Rev. Chil. Anest., 2019.
[8] “The neuromatrix, which is genetically determined and modified by sensory experience…” – R. Melzack, «Pain and the Neuromatrix in the Brain», in J. Dent. Educ. 2001.
[9] Ibidem.
[10] A. Rocha et al, op.cit.