RÉGULATION OSTÉOPATHIQUE DES GRANDS SYSTÈMES DE L'ORGANISME VIA LES MERVEILLEUX VAISSEAUX 1ère partie : concept traditionnel

Concept Publié le 24 juin 2024

En ostéopathie, nous portons beaucoup d’attention sur les 3 liens anatomiques qui unissent toutes les composantes du corps humain : le lien fascial, le lien vasculaire et le lien neurologique.

Ces 3 liens ont leur propre substrat anatomique mais, dans une vision globale, c’est bien le tissu conjonctif, par son réseau fascial et sa matrice extracellulaire qui connecte ces 3 liens[1].

 

Le concept d’énergie tient une place essentielle en acupuncture et aussi, plus ou moins selon les écoles, en ostéopathie. Mais comment comprendre, aborder et évaluer l’énergie dans une approche réellement ostéopathique ?

 « Le vent souffle, la feuille bouge ». Si je n’étudie objectivement que la structure (la feuille), je ne vois pas, je n’appréhende pas l’énergie (le vent). En même temps,  j’ai besoin de la structure pour « matérialiser » et percevoir cette énergie. Nous pouvons ainsi concevoir que le tissu conjonctif, partout présent et qui remplit tout, rend « palpable », par sa souplesse et son élasticité, l’énergie invisible qui anime tout organisme vivant. Cette démarche nous a conduits depuis des années à intégrer systématiquement la réalité tissulaire des méridiens et des points d’acupuncture dans notre pratique ostéopathique, au même titre que les autres structures corporelles. Et, dans la continuité de nos travaux précédents[2], les Merveilleux Vaisseaux (MV)[3] décrits par l’acupuncture et leurs points d’ouverture[4] sont aujourd’hui devenus une nouvelle source d’inspiration.

 

A la suite d’un séminaire LMO, le Dr René Descartes, co-auteur de cet article, a partagé ses travaux personnels sur les Merveilleux Vaisseaux en proposant un rapprochement entre les 8 MV et les 8 unités du Lien Mécanique Ostéopathique[5].

 

Est-ce que chacun de ces MV serait représentatif d’une unité fonctionnelle ou anatomique particulière ?

Y a-t-il  pour l’ostéopathe, un réel intérêt à prendre en compte le modèle des MV ?

Et, si leur point d’ouverture peut être testé facilement, cela permet-il  de déterminer la ou les unités à traiter en priorité ?

On pourrait aussi imaginer que la stimulation des points d’ouverture et/ou des autres points clés des MV puisse consolider, et amplifier le traitement d’une unité !?

 

La pratique nous a montré que les points clés des MV présentaient souvent des fixations tissulaires en relation avec la symptomatologie des patients. De plus, le traitement de ces lésions ostéopathiques nous a donné des réponses étonnantes, y compris dans les pathologies complexes, chroniques ou récurrentes sur lesquelles nous avions peu de résultats.

L’expérience et les retours cliniques nous ont confortés dans la pertinence de cette démarche. Nous sommes aujourd’hui convaincus que le système des Merveilleux Vaisseaux mérite pleinement d’être intégré comme moyen supplémentaire de diagnostic et de traitement en ostéopathie.

 

[1] Helene M. Langevin, David L. Churchill, Marilyn Cipolla, Mechanical signaling through connective tissue: a mechanism for the therapeutic effect of acupuncture, 2001

On peut définir la lésion ostéopathique comme une cicatrice pouvant affecter tous les tissus d’origine mésodermique: os, articulations, muscles, tendons, ligaments, fascias, aponévroses, derme, gaines vasculaires, etc. Et même, si le système nerveux est d’origine ectodermique, rappelons que les nerfs périphériques sont composés à plus de 50 % de tissu conjonctif d’origine mésodermique (épinèvre, périnèvre, endonèvre). Sans parler des gaines conjonctives (paraneurium) qui enveloppent les nerfs dans leur trajet.

[2] Chauffour P., Prat E., Michaud J.,  LMO Points clés du système nerveux périphérique, Editions Sully, 2017.

[3] Appelés aussi méridiens extraordinaires.

[4] Appelés aussi points de commande ou points maître.

[5] Cf. Chapitre Diagnostic et traitement selon la méthodologie du Lien Mécanique Ostéopathique.

 

 

Lecture traditionnelle des Merveilleux Vaisseaux 

L’acupuncture possède une place particulière au sein des médecines alternatives. A l’instar de l’Ayurvéda, elle peut se targuer d’une histoire plus que millénaire et de conserver un rôle de médecine de premier recours dans son pays d’origine. Des modèles de compréhension de ses mécanismes d’action existent, et pour certains, compatibles avec le modèle dominant au sein de nos facultés[1]. Ce sont des IRM fonctionnelles cérébrales qui attestent de l’efficacité de la piqûre de certains points. D’autres travaux nous dirigent, vers une description détaillée de l’histologie du point d’acupuncture[2] et même de la réalité anatomique des méridiens reliant les points.

Il y a des liens très étroits entre l’acupuncture et les médecines manuelles, ce qui a été compris par certains ostéopathes, intégrant l’acupuncture à leur pratique clinique.

De fait, le point d’acupuncture, est une zone très particulière du revêtement cutané, donnant accès « à l’intérieur de l’organisme ».

Les points sont abordables, non seulement à la piqûre, mais aussi par des stimulations manuelles (digitopuncture, tapotements), électriques, lumineuses (laser), magnétiques (aimants) ou bien, ce sera notre choix, par un ajustement ostéopathique spécifique comme le recoil.

Le contact et la stimulation du « point » apportent à la fois des informations diagnostiques et des possibilités thérapeutiques, d’action locale et systémique. En effet, chaque point possède ses propres spécificités : certains sont de véritables « généralistes », avec un impact multiple et systémique, et d’autres conduisent à une action plus locale ou régionale.

 

L’étude des méridiens d’acupuncture débute classiquement par les méridiens dits « principaux », au nombre de 12. Bien connus, même du grand public, ils restent pourtant entourés de mystères : à commencer par leur réalité anatomique, ainsi que leurs trajets simples en surface, mais complexes en profondeur ou encore leur traduction du chinois vers d’autres langues, plutôt malheureuse, en les assimilant à des organes.

Lorsque l'étudiant passe au niveau suivant, les méridiens dits « secondaires », classés en plusieurs familles, sont abordés : les méridiens dits tendino-musculaires, ou encore certains méridiens permettant de relier les méridiens principaux entre eux, dit « Luo », ou les 8 Merveilleux Vaisseaux. Secondaire ici ne signifie pas de moindre importance, bien au contraire.

 

Les Merveilleux Vaisseaux joueraient un rôle essentiel pendant la période embryonnaire, créant une forme de champ d’induction pour la mise en place des feuillets et des tissus. Il serait tentant d’associer certains méridiens extraordinaires avec les 3 feuillets embryonnaires mais leur rôle à cette étape semble surtout fonctionnel, en établissant des champs d’inductions successifs pour la mise en place des feuillets et de l’organogenèse. Ceci pourrait expliquer que le morphotype d’une personne, reflète l’équilibre/déséquilibre énergétique entre l’activité des différents MV et soit un bon indicateur de ses faiblesses constitutionnelles, à considérer en priorité.

Les Merveilleux Vaisseaux conservent un rôle prédominant chez l’adulte. L’un d’entre eux (le Vaisseau Pénétrant) serait à l’origine de l’activité de tous les méridiens principaux et, tous ensembles (les 8 MV), ils exerceraient des fonctions de régulation essentielles sur tout le système des méridiens. Cela explique bien leur rôle absolument unique pour traiter les maladies chroniques, selon certaines écoles.

 

En considérant les 8 Merveilleux Vaisseaux, on distingue 4 MV centraux et 4 MV périphériques.

Et selon la vision traditionnelle, on peut résumer leur fonction ainsi :

 

[1] Roux J-P., Du Bois R. Acupuncture générale, Éditions You Feng, Libraire et Editeurs, 2020.

[2] S.S. Ding, S.H. Hong, C. Wang, Y. Guo, Z.K. Wang and Y. Xu; Acupuncture modulates the neuro–endocrine–immune network. 2014, QJM, an International journal of medicine, pp. 341-345.


 

Les 4 Merveilleux Vaisseaux centraux

 

    1. Le Vaisseau Gouverneur (Du Mai) qui contrôle tous les méridiens Yang du corps, le rachis, l’encéphale et l’énergie de défense de l’organisme

    2. Le Vaisseau Conception (Ren Mai) qui dirige tous les méridiens Yin du corps et les fonctions de reproduction.

    3. Le Vaisseau Pénétrant (Chong Mai) qui est à l’origine de tous les méridiens du corps et de la répartition du sang dans l’organisme.

    4. Le Vaisseau Ceinture (Dai Mai) qui relie et maintient tous les autres méridiens du corps ayant un trajet vertical.

 

Les 4 Merveilleux Vaisseaux périphériques

 

   1. Le Vaisseau de Motilité du Yang (Yang Qiao Mai) qui commande les mouvements volontaires, la motricité du corps, la mobilité des yeux et le sommeil paradoxal.

   2. Le Vaisseau de Motilité du Yin (Yin Qiao Mai) qui gère les mouvements involontaires, la motilité des organes, la fluctuation des liquides, la fermeture des yeux et le sommeil lent.

   3. Le Vaisseau de Liaison du Yin (Yin Wei Mai) qui régule notre système émotionnel, le cœur, et certaines formes de douleurs ostéo-articulaires généralisées (syndrome fibromyalgique).

   4. Le Vaisseau de Liaison du Yang (Yang Wei Mai) qui préserve la mémoire du passé, les automatismes acquis et gère, en partie, notre capacités d’adaptation face aux influences extérieures (variations climatiques, facteurs pathogènes, allergènes, etc.).

 

Seuls deux de ces 8 MV possèdent leurs propres points : le Vaisseau Gouverneur et le Vaisseau Conception. Les 6 autres méridiens extraordinaires « empruntent » des points des méridiens ordinaires pour se constituer.

Il reste quelque peu difficile de parler de leurs fonctions sans aborder les bases de l’acupuncture, en particulier, la philosophie du Yin et du Yang, ou des notions de couplages entre les entrailles dites « Fu » de nature Yang et les organes dits « Zang » de nature Yin. En acupuncture, les entrailles correspondent aux « organes creux », comme la vessie, l’estomac ou le gros intestin, par opposition aux « organes pleins », comme le rein, le foie et la rate.  Précisément, ils ne possèdent pas certaines caractéristiques que l’on retrouve pour les méridiens principaux couplés, comme la notion d’internalité et d’externalité. Ils sont cependant classés selon leur nature Yin ou Yang et différents couplages sont proposés entre eux.

Leur existence est déjà mentionnée dans les textes fondateurs, par exemple le « Ling Shu »[1], quelques siècles avant notre ère. Initialement ils sont considérés comme les dépositaires de notre constitution, et en lien avec une destinée partiellement fixée.

 

En considérant les méridiens ordinaires comme des rivières, des « courants d’énergie », les Merveilleux Vaisseaux sont imagés comme des lacs ayant des fonctions régulatrices : suppléer en cas de manque, ou absorber en cas d’excès, « l’énergie » des méridiens ordinaires.

 

A noter que les textes les plus anciens, tout en évoquant leur existence, ne les abordent pas sur le plan thérapeutique. Il faut attendre le 15ème siècle pour une description précise des 8 points d’ouverture, puis encore un siècle pour un véritable traité avec des propositions de traitement aussi bien en acupuncture que par des plantes de la pharmacopée chinoise.[2]

Ces dernières années, ce sont surtout les travaux de Giovanni Maciocia et de certains auteurs japonais qui ont permis d’approfondir le rôle des MV, en synthétisant et simplifiant les notions traditionnelles avec des nouvelles conceptions cliniques.

 

La conception philosophique du Yin et du Yang est spécifique de la pensée chinoise ancienne et en particulier du Taoïsme. Le Yin et le Yang sont interdépendants et mettent en évidence les opposés indissociables : le jour et la nuit, l’activité et l’inactivité, la lenteur la vitesse, le début et la fin, le froid et le chaud. Mais ce sont aussi des concepts relatifs : courir le marathon est de nature Yang par opposition à rester assis dans son canapé. Mais la pause pendant laquelle le marathonien s’arrête pour se ravitailler est Yin par rapport à la course elle-même Yang, etc.

 

Si l’on résume les fonctions de ces 8 Merveilleux Vaisseaux en utilisant la terminologie spécifique à l’acupuncture, on peut dire que 4 d’entre eux sont de nature Yang, et les 4 autres de nature Yin.

Avec pour chacun de ces 2 groupes Yin et Yang et 4 grandes fonctions : tout d’abord, être à l’origine de, puis accélérer, ensuite préserver et finalement organiser.

 

[1] Wong, Ming. Ling-Shu . s.l. : Masson , 1987

[2] Chace Charles, Miki Shima. An exposition on the Eight Extraordinary Vessels de Li Shi-Zen. s.l. : Eastland Press, 2010.


 

Ainsi nous avons pour le Yin, le Vaisseau Conception (à l’origine), le Vaisseau de motilité du Yin, (l’accélérateur), le Vaisseau de liaison du Yin (celui qui préserve) et le Vaisseau Pénétrant (l’organisateur).

De même pour le Yang, nous avons le Vaisseau Gouverneur (à l’origine), le Vaisseau de motilité du Yang (l’accélérateur), le Vaisseau de liaison du Yang (qui préserve) et le Vaisseau Ceinture (l’organisateur).

 

Dr René Descartes, médecin-interniste et acupuncteur

Eric Prat, ostéopathe DO

 

Articles à suivre

2ème partie : Lecture physiologique des Merveilleux Vaisseaux.

3ème partie : Etude clinique des Merveilleux Vaisseaux (système sympathique).

4ème partie : Etude clinique des Merveilleux Vaisseaux (système parasympathique).

5ème partie : Protocole de régulation ostéopathique des Merveilleux Vaisseaux.