TRAITEMENT NEURAL DES DYSMORPHOSES et des pathologies associées du squelette

Clinique Publié le 24 mars 2022

Lors d’une publication précédente sur la scoliose[1], nous avons évoqué le problème des différences de longueur de jambes ainsi que celui des déviations du genou (genu-varum et genu-valgum). Pour développer plus en détail ce sujet, nous présentons dans cet article une nouvelle perspective de traitement ostéopathique pour les dysmorphoses[2] du membre inférieur et les pathologies ostéo-articulaires associées.

Nos premières observations faites sur l’adulte et l’enfant ont tout d’abord montré une corrélation certaine entre l’état de tension des nerfs périphériques et la morphologie du squelette jambier.

Après plusieurs années de travail sur ce sujet, nous avons constaté que la normalisation des points clés du système nerveux périphériques pouvait influencer favorablement les souffrances articulaires du genou et de la cheville (chez l’adulte) et même la croissance des membres inférieurs (chez l’enfant).

Les résultats cliniques obtenus ont montré que le traitement ostéopathique des nerfs périphériques contribue de façon significative à corriger, au moins en partie, un certain nombre de déformations morphologiques des membres et, de ce fait, à soulager les souffrances articulaires qui en résultent.

 

[1] Voir Nouvelle approche de la scoliose, blog lmosteo

[2] Par dysmorphose, il faut entendre ici toute anomalie, même mineure, de la forme du squelette : inégalité de longueur des membres, torsions et déviations axiales des segments osseux avec déformation articulaires associées (varus, valgus, flexum, recurvatum).

 

Influence de l’innervation sur le développement et les qualités mécaniques de l’os

L'innervation neuronale de l'os est un sujet de recherche émergent, notamment en ce qui concerne le rôle des nerfs périphériques dans la régulation de l'homéostasie osseuse.

En continuité avec les muscles et la peau, le squelette est innervé par le système nerveux périphérique (loi de Hilton[1]) Les fibres nerveuses sensitives et sympathiques du nerf périphérique pénètrent dans le périoste et dans l’os. Elles sont plus abondantes dans la métaphyse et la diaphyse des os longs, formant des réseaux parallèles très denses qui suivent les trabéculations osseuses[2].

Le nerf périphérique semble impliqué de manière critique dans le métabolisme osseux[3], avec différents facteurs comme les neurotrophines et les neuropeptides[4] qui modulent l’activité des ostéoclastes et des ostéoblastes.

Les os dénervés sont non seulement moins développés mais ils présentent aussi une moindre résistance aux contraintes et une plus grande déformabilité.

D’une certaine façon, l’état du nerf influence non seulement la croissance osseuse[5] mais aussi les qualités de la structure osseuse (densité et élasticité, résistance et résilience)[6].

 

[1] La loi de Hilton stipule que les nerfs périphériques qui innervent les muscles franchissant une articulation et agissant sur elle, innervent également cette même articulation (ainsi que la zone cutanée en regard).

[2] C’est à ce niveau que portent nos tests en traction (lignes épiphysaires) et en compression (lignes de force).

[3] Le rôle du système nerveux périphérique sur le métabolisme osseux pourrait être double :

- métabolique par approvisionnement de facteurs trophiques

- biomécanique par la régulation des forces appliquée sur les os.

[4] Comme le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), le peptide intestinal vasoactif (VIP) et la substance P (SP).  Le CGRP et le VIP auraient une tendance à induire l'activité des ostéoblastes avec un effet anabolisant sur le remodelage osseux tandis que la SP semblerait plutôt avoir un effet catabolique ; cf. The Multifactorial Role of Peripheral Nervous System in Bone Growth, Ioannis Gkiatas Korompilias, 2017

[5] Chantal Chenu, médecine/sciences, 2001

[6] The effect of peripheral nervous system in growing bone biomechanics. An experimental study. Ioannis Gkiatas, Journal of Orthopedics,Elsevier, 2019

En suivant le principe fondamental de la médecine ostéopathique – la structure gouverne la fonction – il parait donc logique qu’en jouant sur l’élasticité et la longueur des nerfs, on puisse aussi, dans une certaine mesure, agir sur le développement et la biomécanique du squelette.

 

Observations ostéopathiques

Dans notre pratique du LMO, nous procédons systématiquement chez chaque patient à :

- une évaluation des lignes de force[1] des os longs par un test en compression axiale de l’épiphyse sur la diaphyse,

- une évaluation des lignes épiphysaires[2] des os longs par un test en traction axiale sur les épiphyses,

- une évaluation des nerfs périphériques par pression-circumduction sur les points clés neuraux,

- une observation des éventuelles dissymétries des membres inférieurs.

 

Sur le plan diagnostique, nous avons pu constater que, sauf traumatisme ou chirurgie, il y avait presque toujours une forte concordance entre :

- la positivité des tests du système nerveux et la positivité des tests intra-osseux,

- la positivité des tests de système nerveux et la morphologie du squelette.

 

Sur le plan thérapeutique, nous avons observé que le traitement des fixations neurales, lorsqu’elles étaient en cause (lésion dominante) améliorait nettement :

- les dysfonctions ostéo-articulaires associées (raideur, douleurs) chez l’adulte,

- la morphologie du squelette avec correction, au moins partielle, des dysmorphoses associées chez l’enfant en cours de croissance.

 

[1] Lignes de contrainte du squelette axial matérialisées par les trabéculations épiphysaires et les travées osseuses de la corticale diaphysaire ; lire à ce sujet P. Chauffour, E. Prat, J. Michaud, Lésions ostéopathiques de l’os, Editions Sully, 2012

[2] Correspondant au cartilage de croissance du squelette juvénile.

Observation de la longueur des membres inférieurs et de l’alignement des segments[1].

 

[1] Il faut compléter cette observation des MI jambe tendues par un examen visuel des MI genoux fléchis pour apprécier de façon plus précise la longueur des segments fémoraux et des segments jambiers.

 

Tableaux cliniques

Pour illustrer les corrélations que nous avons pu constater, voici quelques tableaux cliniques fréquents en pratique ostéopathique. Ce schéma lésionnel qui associe une asymétrie de tension des nerfs périphériques avec, en regard, une déviation des segments ostéo-articulaires est aussi applicable aux autre niveaux du membre inférieur : bassin, cheville, pied[1].

 

1. Un nerf axial trop court – test en traction distale positif – est associé à un segment osseux plus court. Exemple : nerf tibial trop court entrainant une jambe plus courte.

2. Un nerf axial trop long – test en traction proximal positif – est associé à un segment osseux plus long. Exemple : nerf tibial trop long entrainant une jambe plus longue.

 

[1] Et aussi à priori du membre supérieur, même si nous manquons d’observations à ce niveau.

Illustration schématique de la longueur des nerfs en relation avec la morphologie de la jambe.

Pour le traitement, le recoil sera dirigé en sens inverse des flèches.

 

3. Un nerf médial trop court – test en traction distale positif – est associé à un segment osseux en varus. Exemple : nerf saphène trop court entrainant un genu-varum

4. Un nerf latéral trop long – test en traction proximale positif – est associé à un segment osseux en varus. Exemple : nerf fibulaire trop long entrainant un genu-varum

Illustration schématique de la longueur des nerfs en relation avec la morphologie de la jambe.

Pour le traitement, le recoil sera dirigé en sens inverse des flèches.

 

5. Un nerf médial trop long – test en traction proximal positif – est associé à un segment osseux en valgus. Exemple : nerf saphène trop long entrainant un genu-valgum

6. Un nerf latéral trop court – test en traction distale positif – est associé à un segment osseux en valgus. Exemple : nerf fibulaire trop court entrainant un genu-valgum

Illustration schématique de la longueur des nerfs en relation avec la morphologie de la jambe.

Pour le traitement, le recoil sera dirigé en sens inverse des flèches.

 

Conduite de traitement à tenir

Pour illustrer cette relation entre la tension des nerfs et la direction que prend le squelette, prenons l’image de la conduite d’un cheval avec de longues rênes.

Les longues rênes sont le lien matériel qui permet une relation souple entre le cavalier et son cheval. En jouant sur la tension et les impulsions qu’il donne aux rênes, le dresseur communique avec le cheval et lui donne les indications nécessaires pour avancer, arrêter et tourner. 

De même l’os (le cheval) est guidé dans son développement par les nerfs périphériques (les longues rênes).

 

En cherchant un bon équilibre de longueur et de tension entre les nerfs antagonistes, l’ostéopathe permet à l’os de se développer harmonieusement.

Pour corriger un nerf trop long ou souffrant d’élongation, il faut ajuster les différents points d’accroche qu’il présente par un recoil en direction proximale (traitement concentrique, comme si on voulait raccourcir le nerf).

Pour corriger un nerf trop court ou rétracté, il faut ajuster les différents points d’accroche qu’il présente par un recoil en direction distale (traitement excentrique, comme si on voulait allonger le nerf).

Dans les deux cas, il faut souvent affiner la direction du recoil en ajoutant une composante latérale/médiale ou antérieure/postérieur pour repositionner le nerf dans son axe[1].

 

[1] Certains nerfs ont une prédisposition fonctionnelle à se déplacer. Par exemple, le nerf ulnaire se subluxe volontiers vers l’avant et le nerf saphène vers l’arrière.

 

Conclusion et perspectives ostéopathiques

De nombreuses études scientifiques confirment que l’altération du système nerveux se répercute sur le métabolisme de l’os : moindre développement et moindre résistance.

Nos observations cliniques montrent que toute fixation d’un nerf périphérique par compression, élongation (nerf trop long) ou rétraction (nerf trop court) influence directement ou indirectement la structure osseuse.

Si la lésion neurale s’installe dans l’enfance, il y aura un retentissement sur la croissance osseuse avec de possibles déformations du squelette comme une inégalité de longueur des membres ou un varus/valgus articulaire.

Si la lésion neurale perdure à l’âge adulte, il y aura une fragilisation progressive du système ostéo-articulaire (inflammation, tendinite, arthrose, laxité ligamentaire, etc.).

L’ostéopathe qui maitrise bien le diagnostic palpatoire et l’ajustement spécifique des nerfs périphériques possède ainsi un atout supplémentaire pour agir favorablement sur un grand nombre de déformations et de pathologies dégénératives du squelette[1].

 

[1] Voir programme du Master 3

 

Eric Prat DO

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