Préface LMO Artères et Système Neuro-Végétatif


La technique à la base du travail de Paul Chauffour, DO, Eric Prat, DO, Jacques Michaud MD, DO, est le Recoil. Cependant, leur méthodologie, connue sous le nom de Lien Mécanique Ostéopathique, est plus qu’une technique. Le Lien Mécanique Ostéopathique est une approche Ostéopathique globale pour soigner le patient. C’est une façon intégrée et holistique d’examiner comment des lésions ostéopathiques peuvent déformer la structure et la fonction locales et en même temps affecter des systèmes éloignés, apparemment sans rapport. Le Lien Mécanique utilise une méthode à la fois de diagnostic et de traitement pour isoler les lésions les plus importantes qui maintiennent le processus complexe de la maladie.

D’autre part, même si la Technique du Recoil est bien une expression manuelle caractéristique du Lien Mécanique, ce n’est pas une méthode exclusive du travail de Paul Chauffour, Eric Prat, ou Jacques Michaud. La technique du Recoil n’est pas, aujourd’hui, inscrite dans le Glossaire Américain de Terminologie Ostéopathique et les DO Américains en discutent rarement; néanmoins cette technique a fait partie des débuts de mon apprentissage ostéopathique et, de plus, elle a une référence historique clef : je crois que cette technique Ostéopathique, peu connue, était utilisée par Andrew Taylor Still.

Still était un médecin brillant et un clinicien philosophe visionnaire. L’intégration de sa compréhension sur le fonctionnement du corps humain avec ou sans pathologies perdure. La lecture de ses livres peut donner aux ostéopathes du xxie siècle une perspective pragmatique utilisable dans leur pratique quotidienne. Still nous a demandé de penser Ostéopathiquement c’est-à-dire de traiter les structures « discontinues » que nous appelons des lésions afin d’intégrer ces dysfonctions dans un contexte holistique qu’il appelait santé. Il enseigna les concepts holistiques fondamentaux avant que le terme fût inventé en 1926 par le philosophe sud-africain et homme d’Etat J. C. Smuts1. Un terme de Still pour ce que nous appelons maintenant holisme était le tout indissociable (« connected oneness »).2 La beauté de cette expression intégrée de l’holisme est son utilité pratique dans un contexte Ostéopathique. Si le tout indissociable est la représentation suprême de santé, alors une multitude d’éléments dissociés («disconnected manyness») est la manifestation de la maladie. Le Lien Mécanique Ostéopathique utilise une stratégie intégrée, ou holistique, pour restaurer le tout indissociable qu’est le corps humain.

Malgré ses talents de praticien penseur Still ne fut guère un brillant pédagogue. Il refusa de présenter à la profession ostéopathique un manuel de ses techniques. Il désirait plutôt que l’on maîtrise l’anatomie pour ensuite appliquer la philosophie clinique de l’ostéopathie d’une manière unique pour chaque patient sans avoir recours à une chorégraphie.3 Quand A.T. Still disait, « Vous commencez avec l’anatomie et vous finissez avec l’anatomie, la connaissance de l’anatomie c’est tout ce vous dont vous avez besoin… », il soulignait avec insistance l’importance primordiale pour les ostéopathes d’avoir une connaissance approfondie de l’anatomie fonctionnelle de façon à appliquer correctement la philosophie clinique de l’ostéopathie.4 Paul Chauffour, Eric Prat et Jacques Michaud ont créé le Lien Mécanique Ostéopathique comme une approche anatomiquement spécifique, qui rejoint les principes fondamentaux promulgués par Still.

A mon avis l’ensemble des techniques ostéopathiques reconnues et que l’on utilise aujourd’hui est en fait la réalité tangible d’une expression hautement structurée que les pionniers de notre profession ont appris directement de Still. Quelques brillants élèves qui sont, par la suite, devenus des directeurs ou des enseignants au sein de la profession naissante de l’ostéopathie, ont mis en valeur une ou plusieurs des diverses approches utilisées par leur maître. Après la mort de Still la première et la seconde génération de DO ont subséquemment donné un nom à ces techniques qui étaient auparavant connues sous le générique : « Ostéopathie ». Ils ont créé des écoles de techniques qui avaient le noble but d’appliquer idéalement la philosophie clinique de Still, sans pour autant être partisanes.

En tant qu’historien de l’ostéopathie, j’ai étudié soigneusement les travaux de Still, ainsi que ceux de ses divers élèves, afin de mieux comprendre l’évolution de la technique ostéopathique. Ce que Still appela « reboutement » est devenu plus tard High Velocity Low Amplitude (HVLA) ou Thrusting techniques. L’approche directe « soft tissue » est devenue Myofascial Release. Aussi je crois que la plus unique contribution apportée par Still au manuel de médecine, était ce qu’on appelait, « exaggeration technique » maintenant mieux connue comme technique indirecte.5 La multitude d’expressions utilisées pour « exaggeration techniques » fait aujourd’hui spécifiquement référence aux Indirect Technique, Functional Method, Strain/Counterstrain, Facilitated Positional Release, Balanced Ligamentous Tension, Ligamentous Articular Strain, et -les techniques indirectes- sont l’approche la plus utilisée en ostéopathie crânienne. Chacune de ses méthodes travaille au point d’équilibre, distant de la barrière, plutôt que contre la barrière, comme c’est le cas avec HVLA ou direct Myofascial Release. Néanmoins chacune de ces approches spécifiques aux techniques d’exagération atteignent leur but par des moyens uniques.

Dans l’ombre des techniques plus renommées sont deux approches moins connues qui étaient probablement utilisées par Still dans des situations particulières, mais n’ont pas réussi à s’imposer dans les premiers enseignements. Ces techniques «mineures» étaient la percussion/vibration et la technique du Recoil. Certains élèves instruits directement par Still utilisaient percussion/vibration et ont consigné cette approche dans les premiers manuels d’ostéopathie.6 De la lecture des écrits, originaux rédigés par les étudiants de la première génération, nous pouvons en déduire et concevoir que Still aussi utilisait la percussion/vibration.

Bien que les documents historiques soient moins précis concernant la technique du recoil j’ai de solides preuves indirectes, ainsi que des archives, qui mentionnent Still utilisant le recoil comme mode de traitement. En 1982 j’étais étudiant au Collège d’Ostéopathie Médical et de Chirurgie dans la ville de Des Moines dans l’état du Iowa (USA) où un membre de la faculté du nom de Rolland Miller DO enseignait à mi-temps. Le Dr Miller, aujourd’hui décédé, était en préretraite et enseignait deux demi-journées par semaine où il nous aidait durant les sessions pratiques de manipulations ostéopathiques. Il avait pratiqué l’ostéopathie pendant plus de 40 ans, dans l’Iowa, et il était une source de sagesse clinique pratique. Il était diplômé en 1942 de mon université mère (qui était à l’époque le Collège d’Ostéopathie A.T. Still de Des Moines). Un jour, lors d’une session pratique à propos du traitement des lésions de la cage thoracique, j’éprouvais quelques difficultés à restaurer le mouvement d’une côte. J’avais essayé HVLA, muscle energy, ainsi qu’une technique indirecte. Cependant les changements que j’espérais ne se réalisaient pas. Aussi j’ai sollicité l’aide du Dr Miller et il me dit, « laissez moi vous montrer comment A.T. Still traitait les côtes rebelles ». Il me montra alors ce qu’il a appelé la « technique du recoil.» Le résultat fut instantané et le mouvement de la côte restauré. La technique du recoil démontrée par le Dr Miller était une version simplifiée de la méthode plus sophistiquée qu’utilisent Paul Chauffour, Eric Prat, et Jacques Michaud. Le Dr Miller m’indiqua que «A.T. Still n’utilisait jamais un seul outil mais possédait, dans sa boîte à outils, une vaste panoplie de techniques». Il insista fortement sur le fait que, «Pour être un ostéopathe compétent, nous avons besoin de beaucoup d’outils, cependant - continua-t-il-  la technique du recoil est un outil particulier que vous utilisez pour une situation spéciale comme celle-ci».

Je savais que Rolland Miller était d’un âge avancé, il avait à l’époque autour de 75 ans, mais je savais aussi qu’il n’était pas assez vieux pour avoir étudié avec Still. Par plaisanterie, je lui ai présenté ce paradoxe mathématique en lui disant, «Docteur Miller, je sais que vous êtes vieux mais vous ne pouvez pas être aussi vieux !» Il a ri de bon cœur et a répondu, «je parais peut-être avoir cent ans, mais je suis encore un jeune homme de 75 ans.»

« J’ai appris cette technique d’Arthur Becker, DO qui était le président de mon école et avait été un élève de Still au début des années 1900.» Rolland Miller m’a alors révélé qu’étudiant, il s’était trouvé dans une situation semblable à la mienne concernant « une côte rebelle ». Il me raconta que Becker faisait partie des membres de l’administration mais enseignait aussi et que, un jour, «le Dr. Becker m’a aidé tout comme je vous aide aujourd’hui». Becker me dit que le Vieux Docteur lui avait enseigné cette technique et qu’aujourd’hui il me l’apprenait à son tour. Ensuite il me dit que la métaphore sur la boite à outils lui avait été transmise par Arthur Becker. Finalement, Rolland Miller me dit, «je vous transmets une technique dont l’origine directe est A. T. Still.»

La seule référence historique connue relative à la Technique de Recoil a été décrite par Arthur Hildreth, DO dans son livre, The Lengthening Shadow of Dr Andrew Taylor Still. Hildreth a raconté cette histoire au sujet d’A. T. Still :

«Dans les débuts, Dr Still ainsi que les premiers ostéopathes asseyaient les patients sur des tabourets afin de les traiter. Un jour il traitait un patient pour un problème au niveau du thorax. Il avait placé son orteil sur la chaise entre les jambes du patient et appuyé son genou contre le thorax. Il essayait de corriger une côte sur le côté gauche, aussi son genou était positionné un peu sur la gauche du sternum. Ses mains étaient autour du corps du patient et placées sur les angles des côtes. Après avoir assuré la position désirée, fixant son genou comme fulcrum et appuyant sur les angles des côtes vers le genou, en guise de touche finale au traitement, il effectua un mouvement vers le haut sur les angles des côtes avec ses mains de chaque côté, puis dégagea rapidement ses mains.  

«Je lui ai dit, “Dr Still, que faites vous ?”

«Il me répondit, “j’essaie de corriger les côtes et de libérer les nerfs intercostaux qui contrôlent les muscles entre les côtes, et en comprimant ces côtes à partir de leurs extrémités et vers le centre, j’applique la même tension que l’archer lorsqu’il veut tirer une flèche de son arc, lorsqu’il tend suffisamment la corde pour donner la tension nécessaire afin de libérer la force permettant à la flèche de partir aussi je tends les extrémités des côtes l’une vers l’autre comme pour l’arc. Lorsque je lâche prise, la réaction est la libération des tissus fixés.” Cela fut pour moi une véritable et inestimable leçon de technique.7»

Ce bref récit révèle que Still utilisait une technique similaire à celle de Paul Chauffour, Eric Prat et Jacques Michaud appelée la technique du recoil. S'il y a d’autres DO Français et Anglais qui ont utilisé cette technique, d’une façon plus limitée, c’est toutefois vraiment Paul Chauffour, Eric Prat et Jacques Michaud qui ont adopté cette méthode, l’ont perfectionnée et en ont fait la base fondamentale de leur approche systématique appelée le Lien Mécanique Ostéopathique. Comme Sutherland, les Lippincotts, Hoover, Jones, Johnston et Schiowitz ont approfondi les techniques d’exagération, Paul Chauffour, Eric Prat, et Jacques Michaud, ont considérablement enrichi et développé la technique du recoil, et en ont fait un élégant système de traitement.8 Ils utilisent la technique du recoil à un haut niveau de spécificité anatomique. Ils ont honoré la demande de Still à savoir qu’«un ostéopathe averti doit exceller dans sa connaissance de l’anatomie et la physiologie.»9 Plus important encore ils ont compris ce que Still voulait exprimer lorsqu’il a dit, «la connaissance de l’anatomie ne constitue qu’un poids mort si vous ne savez pas appliquer cette connaissance avec art.»10 Le Lien Mécanique utilise une connaissance exacte de l’anatomie et l’applique avec grande habileté.

Le premier volume consacré à cette approche, cosigné par Paul Chauffour et Eric Prat et intitulé « Le Lien Mécanique Ostéopathique, Théorie et Pratique », constituait une étude générale des principes de base de leur méthode dans ses phases de diagnostic et de traitement. Ce second livre détaille leur approche du système artériel et du système neurovégétatif. L’anatomie unique de ces systèmes complexes justifie un travail séparé et distinct. Plus important encore ces ostéopathes ont respecté les concepts de Still en ce qui a trait au système artériel et à son interaction vitale avec le système nerveux.

Lorsqu’en 1908 Still a consigné par écrit ce principe fondamental de l’ostéopathie, il reconnaissait l’interdépendance du système artériel et du système nerveux.

« La règle de l’artère est absolue, universelle ; l’artère ne doit pas être obstruée, sinon la maladie en résulte. J’ai déclaré ici et maintenant que tous les nerfs dépendent entièrement du système artériel pour leurs particularités, telles que la sensibilité, la nutrition et le mouvement, et en vertu de la loi de la réciprocité, ils fournissent à l’artère force, nutrition et sensibilité, et j’ai de plus affirmé que le corps humain était la pharmacie de Dieu et que dans ce corps se trouvent tous les liquides, médicaments, huiles lubrifiantes, opiats, acides, et antiacides ainsi qu’une multitude de remèdes que la sagesse de Dieu trouva nécessaire de fournir au bonheur et à la santé de l’être humain.11 »

Le Lien Mécanique Ostéopathique : artères et système neurovégétatif utilise la notion conventionnelle du système artériel, la relie au système nerveux, et tout comme Still, unit le tout dans le grand contexte holistique. Ce livre est le début, je l’espère, d’une série de publications appliquant les principes fondamentaux du Lien Mécanique à d’autres territoires anatomiques spécifiques.

Il n’existe pas qu’une seule technique «Stillienne » qui définisse le travail d’un ostéopathe. Notre travail est l’expression clinique d’une philosophie. Comme nous l’ont révélé Miller et Becker, Still avait une boîte à outils diversifiée et riche en techniques. Avec bonheur, Paul Chauffour, Eric Prat et Jacques Michaud ont fait revivre et ont considérablement enrichi une technique méconnue. Mais surtout, ils ont créé avec le Lien Mécanique Ostéopathique une approche intégrée et systématique dont Andrew Taylor Still serait extrêmement fier.

 

Dr Steve Paulus Ostéopathe DO (US)

 

COMMANDER

 

 

1 Smuts, J. C., Holism and Evolution (1926)

 2 Still, A. T., Philosophy and Mechanical Principles of Osteopathy

 3 Still, A. T., Autobiography

 4 Still, A. T. Philosophy of Osteopathy

 5 Sutherland, W. G., « Dr. Sutherland Invents “Osteopathic Hammock” », The Osteopathic Physician, volume XV, mars 1909

 6 Percussion et vibration a été rapporté par plusieurs élèves directs de Still dans des textes ostéopathiques classiques des années 1890 et du début des années 1900. Parmi les pionniers de l’ostéopathie qui ont parlé en détail de percussion et vibration, on trouve J. Martin Littlejohn, DO, MD, Eduard Goetz, DO, et Elmer Barber, DO.

 7 Hildreth, A. G. The Lengthening Shadow of Dr. Andrew Taylor Still (1938)

 8 William Sutherland, DO, a développé le concept crânien dans les années 1920-1930 et a commencé à enseigner cette approche dans les années 1940. Il utilisait l’exagération comme l’une des approches principales du traitement crânien. Il a également forgé le terme Balanced Ligamentous Tension pour décrire le traitement de structures non crâniennes à l’aide d’une approche indirecte. Rebecca Lippincott, DO, et Howard Lippincott, DO, ont décrit les différentes procédures associées à Ligamentous Articular Strain. Dans les années 1950, Harold Hoover, DO, a commencé à enseigner à des ostéopathes américains et anglais ce qu’il appelait Functional Method. William Johnston, DO, a développé le travail de Hoover. En 1981 Lawrence Jones, DO, a publié Strain-Counterstrain, qui utilise des méthodes indirectes combinées à des monitoring tender points. Stanley Schiowitz, DO, a développé Facilitated Positional Release (FPR) dans les années 1980 et continue à enseigner cette approche à travers les Etats-Unis.

 9 Still, A. T. Philosophy and Mechanical Principles of Osteopathy

10 Still, A. T. Philosophy and Mechanical Principles of Osteopathy

11 Still, A. T. Autobiography