Lésion ostéopathique d’expansion des ligaments coracoïdiens

Clinique Publié le 4 sept. 2022

Le système ligamentaire a pour fonction principale de solidariser les structures ostéo-articulaires[1] sur lesquelles il s'insère. Concernant le squelette, les ligaments unissent des pièces osseuses jointes ­­– ou non – par une articulation. Un excès de traction sur ces pièces d’attaches peut créer une véritable lésion d’expansion ligamentaire[2], ouvrant le chemin aux enthésopathies, instabilités articulaires, élongations et autres ruptures ligamentaires. D’un point de vue ostéopathique cette lésion ligamentaire d’expansion mérite d'être bien comprise et correctement diagnostiquée car, dans ce cas, les manœuvres d'étirement, loin d’être efficaces, sont contre-indiquées !

 

[1] Et aussi viscérales, ce qui fera l’objet d’un prochain article.

[2] Par expansion, il faut entendre ici un état de tension dans le sens de l’allongement du ligament. Au fil du texte, nous utiliserons de façon équivalente les termes « lésion d’étirement » et « lésion en diastasis ».

 

Les fibres conjonctives du système ligamentaire s’inscrivent dans la continuité du réseau des lignes de force intra-osseuses[1]qui parcourt tout le squelette.

Pour illustrer notre propos, considérons la ceinture scapulaire au sein de ce réseau continu de fibres conjonctives.

 

Quelle place donner au coracoïde[2] dans ce système ? Ce processus massif comme le bec d’un grand corbeau[3] nous livre tout un éventail ligamentaire à explorer.

A l’image du petit poisson de Sutherland [4] qui navigue du liquide céphalo-rachidien vers le réseau des nerfs périphériques, envisageons les directions, via les fibres ligamentaires, que celui-ci pourrait emprunter depuis le coracoïde, cet «  îlot de compression dans un océan de tension »[5].

 

[1] Ce réseau de lignes de force, mis en évidence par Paul Chauffour et Eric Prat dans les années 2000, peut être le siège de lésions ostéopathiques qui nécessitent un traitement particulier. Lire à ce sujet : Le Lien Mécanique Ostéopathique : Lésions ostéopathiques de l’os, P. Chauffour, E. Prat, J. Michaud, Editions Sully

[2] Le coracoïde : le substantif masculin de processus coracoïde (nouvelle nomenclature) est préféré au substantif féminin de l’apophyse coracoïde (ancienne nomenclature).

[3] Etymologiquement, coracoïde vient du grec ancien korakos, « corbeau » et eidos, « forme », par analogie au bec volumineux du grand corbeau (corvus corax) qui le distingue de ses congénères.

[4] Enseignements dans la science de l’ostéopathie, William Garner Sutherland D.O., une promenade du vairon pp 227-232

[5] Buckminster Fuller (1895-1983), architecte américain qui posa les premiers principes de la tenségrité. 

 

Les ligaments coracoïdiens

L'éventail des ligaments coracoïdiens

 

1) Le ligament coraco-acromial

Tendu du bord antérieur de l’acromion à l’extrémité antérieure du bord latéral du coracoïde, c’est un ligament qui a pour particularité de s’insérer sur 2 parties d’un même os.      

Le ligament coraco-acromial participe à la voute acromio-coracoïdienne qui couvre le passage des tendons des muscles sus-épineux et long biceps. La face profonde du ligament et son bord latéral se trouvent ainsi directement en contact avec la bourse sous-acromiale et, en fonction de la position de l’articulation gléno-humérale, avec les bourses sous-deltoïdienne et sous-scapulaire. 

Le rameau acromial de l’artère thoraco-acromiale traverse ce ligament de la face superficielle à la face profonde pour aller vasculariser l’articulation acromio-claviculaire.

Ce ligament coraco-acromial est précontraint[1] : lors d’une section, chacun des deux segments se rétracte vers son insertion, tel un ressort tendu puis sectionné.

 

[1]  Biomécanique de l’épaule, De la théorie à la clinique, P. Blaimont et A. Taheri, Springer pp 89-93

 

Précontrainte du ligament coraco-acromial

Radiographie d’une vue de profil de Lamy

 

Son rôle biomécanique est de stabiliser la voute acromio-coracoïdienne, flexible et soumise aux contraintes musculaires[1]. En effet, sous l’effet des tractions divergentes du trapèze et des muscles infra-coracoïdiens, la voute tend à augmenter son rayon de courbure. Un excès de tractions musculaires nous permet ainsi d’envisager un mécanisme lésionnel ostéopathique d’étirement : le « diastasis[2] » du ligament coraco-acromial.  

Cliniquement, cette lésion ostéopathique ligamentaire semble fortement participer au déséquilibre de l’arche, aux dystonies musculaires du complexe de l’épaule et aux enthésopathies acromiales.

Cette tension excessive du ligament, rendu dès lors plus rigide et agressif envers les éléments qu’il couvre, favorise les syndromes de coincement[3], les tendinites dégénératives et les ruptures de la coiffe des rotateurs. De plus, la compression du rameau artériel acromial pourrait avoir une incidence sur la vascularisation de l’articulation acromio-claviculaire.

 

[1] Les interprétations de son rôle physiologique divergent selon les auteurs.

[2] Etymologiquement, diastasis signifie « séparation » en grec ancien. Médicalement, il s’agit d’un écartement anormal entre deux éléments anatomiques distincts  mais normalement joints l’un à l’autre. Le terme est ici repris dans son acceptation ostéopathique pour évoquer une tension anormalement fixée en divergence.

[3] Impingement syndrome.

 

Test en compression du ligament coraco-acromial

 

Pour tester le ligament en compression[1], nous appliquons un contact inférieur sur la face médiale de l’extrémité antérieure du coracoïde et, en regard, un contact supérieur sur la face crâniale de l’extrémité distale de l’acromion. La compression s’exerce dans l’axe du ligament : vers l’arrière, le haut et le dehors.

 

2) Le ligament supra-scapulaire[2]

Reprenons le rayonnement des ligaments coracoïdiens. Le petit poisson se dirige à présent en arrière, vers l’insertion du ligament supra-scapulaire. Tendu de la base du coracoïde à l’extrémité médiale de l’incisure scapulaire, il est orienté dans l’axe de la portion horizontale du coracoïde. Ce ligament transforme l’incisure scapulaire en canal, livrant passage au nerf supra-scapulaire[3]. Le test en compression évalue ici une possible lésion ostéopathique en diastasis du ligament avec le risque d’une irritation du nerf sous-jacent[4].

 

[1] Par test en compression d’un ligament, nous entendons un test en direction du rapprochement (convergence) de ses points d’attaches. Ce test est destiné à voir si le ligament ne souffre pas d’un excès de traction (divergence).

[2] Appelé aussi ligament transverse supérieur de la scapula ou ligament coracoïdien.

[3] Notez que l’artère supra-scapulaire qui passe au-dessus du ligament supra-scapulaire sera ici épargnée par un éventuel conflit canalaire.

[4] Le Lien Mécanique Ostéopathique : Points clés du système nerveux périphérique, P. Chauffour, E. Prat, J. Michaud, Editions Sully, pp 122-123  et 184-185.

 

Test en compression du ligament supra-scapulaire

 

Les 2 contacts s’appliquent en convergence entre l’extrémité antérieure du coracoïde et la base médiane de l’épine de la scapula[1].

 

3) Les ligaments conoïde et trapézoïde 

Observons maintenant la face supérieure du coracoïde. La partie postérieure donne naissance au ligament conoïde et la partie médiale au ligament trapézoïde. Tous deux suspenseurs de la scapula[2], ils s’insèrent sur le 1/3 latéral de la clavicule, face caudale, et assurent sa stabilité dans les 3 plans de l’espace. Leur implication dans les entorses acromio-claviculaires[3] doit faire envisager les lésions ostéopathiques d’étirement ligamentaire correspondantes.

Le ligament conoïde, plus postérieur et médial, s’oriente verticalement, en éventail, jusqu’au tubercule conoïde. Il est particulièrement mis en tension dans le mouvement d’extension de l'épaule.

Le ligament trapézoïde, situé en avant et en dehors du conoïde, se dirige vers le haut et le dehors pour s’insérer sur la linea trapezoidum, du tubercule conoïde à l’angle antéro-latéral de la clavicule. Il est quant à lui particulièrement mis en tension dans le mouvement de flexion de l’épaule.

 

[1] Ce test ligamentaire correspond au test en compression de la ligne de force de la portion horizontale du coracoïde en mettant le focus sur le ligament. 

[2] Dans le mécanisme lésionnel d’une disjonction acromio-claviculaire, la scapula et l’acromion s’abaissent plus que la clavicule ne monte: https://www.centre-epaulemain-besancon.fr/chirurgies-pratiquees/epaule/clavicule/disjonction-acromio-claviculaire/  

[3] Classification de Rockwood.

La croix ligamentaire et musculaire du coracoïde 

 

Observons qu’en compagnie du ligament coraco-acromial, l’appareil ligamentaire a bien pour fonction de suspendre le coracoïde en contrepoint des tractions musculaires inférieures.

 

Test en compression des ligaments trapézoïde (T) et conoïde (C)

Les contacts s’appliquent en convergence entre le coracoïde et la clavicule, en projection des insertions ligamentaires. En pratique, une pression sur la partie inférieure du coracoïde dirigée vers le haut sollicitera plutôt le ligament conoïde. Une pression, dirigée vers le haut et légèrement le dehors, s’adressera plus sélectivement au ligament trapézoïde.

Il est possible de combiner ce test avec le test du diastasis acromio-claviculaire[1] en ajoutant un contre-appui sous l’angle postérieur de l’acromion.

De plus, certains auteurs parlent des épaississements du fascia clavi-pectoral comme des « ligaments » coraco-claviculaires médial et latéral[2]. La bande fasciale coraco-claviculaire médiale, plus ou moins développée et palpable selon les personnes, peut justifier d’étendre le test en compression à la partie médiale de la clavicule.

 

4) Le ligament coraco-huméral

Finissons le rayonnement par le ligament coraco-huméral.

Comblant l’espace de l’intervalle des rotateurs, ce ligament s’insère sur le versant supéro-latéral du coracoïde et s’oriente horizontalement vers la tête humérale. Un faisceau se dirige vers le tubercule majeur de la tête humérale, l’autre vers le tubercule mineur, cravatant la partie tendineuse du chef long du muscle biceps brachial[3]. Notons, par souci d’exhaustivité, l’existence d’un faisceau profond : le ligament coraco-glénoïdien, tendu de la partie postérieure du bord latéral du coracoïde au bourrelet glénoïdien de la scapula.

Autrement appelé ligament suspenseur de l’épaule[4], la dénomination est d’emblée prometteuse pour dénicher de potentielles lésions en étirement. Cependant, en pratique, la sollicitation en compression du ligament via le coracoïde présente certaines difficultés techniques.

La sollicitation du ligament via la base médiane de l’épine de la scapula vers le trochin et le trochiter est plus pertinente. Le test en convergence correspond  alors une spécificité du test de compression de l’articulation gléno-humérale[5].

 

[1] Enseignement stage LMO2

[2] Depuis la face supérieure du coracoïde, l’expansion fasciale médiale se termine sur le bord antérieur du sillon du muscle subclavier. L’expansion latérale se termine, elle, entre les insertions claviculaires des ligaments trapézoïde et conoïde.

[3] L’espace comblé par ces 2 deux faisceaux correspond à l’intervalle des rotateurs, zone de faiblesse de l’articulation gléno-humérale et poulie de réflexion du tendon du long biceps, qu’il convient de bien savoir traiter en ostéopathie : enseignement stage LMO thématique Epaule.

[4] « L’influence stabilisatrice des éléments horizontaux actifs et passifs trouve son explication dans l’orientation de la cavité glénoïdale dont la pente entraine la mise en tension automatique des ligaments antéro-supérieurs ». Biomécanique de l’épaule, De la théorie à la clinique, P. Blaimont et A. Taheri, Springer p108

[5] Enseignement stage LMO2

 

Test en compression du ligament coraco-huméral

 

Discussion

Le concept de lésion ligamentaire d’expansion, dans la continuité des lignes de force intra-osseuses, nous invite à envisager la trame d’un réseau continu qui chemine à travers les fascias de différentes densités. Outre d’éventuels facteurs traumatiques, le rapport de force inégal entre traction musculaire et suspension ligamentaire favorise la divergence des structures ostéo-articulaires. Pour tenir compte de cette notion, le praticien avisé aura donc avantage à ajouter, à son examen général ou spécifique[1] de l’épaule, les différents tests en compression des ligaments coracoïdiens ici décrits.

 

Lorsqu’elle a été correctement diagnostiquée (test en compression positif), la lésion d’expansion ligamentaire sera corrigée par recoil. Dans ce cas précis d’une lésion d’expansion, la correction s’effectuera à partir des deux points de contact qui résistent au test en compression, en mettant le focus sur le ligament, comme si on voulait rapprocher ses insertions. Ce modèle de traitement qui consiste à ajuster deux structures en lésion pour agir sur un élément anatomique intermédiaire se retrouve, avec des variantes, dans le concept du traitement combiné tel que nous l’avons développé[2]

 

[1] Test spécifique : test en tension pour détailler une structure en lésion ostéopathique. Le test spécifique a pour objectif d’identifier l’élément de la structure à traiter (point de blocage). Les tests spécifiques ne font pas partie de l’examen général mais ne s’effectuent que dans la phase préparatoire du traitement.

[2] article Blog : Le Lien Mécanique Ostéopathique : Évolution et Perspectives

 

Conclusion

Abandonnons l’habitude non fondée d’étirer les ligaments à tout-va ! Sachons les envisager comme de potentielles victimes d’un excès de tension. Ils demandent dans ce cas, à être soulagés par un ajustement spécifique en rapprochement des pièces osseuses sur lesquelles ils s’attachent.

 

Nicolas Caen DO

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